L'histoire évolutive des espèces affecte le fonctionnement des écosystèmes

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Par Dominique Gravel et Nicolas Mouquet,
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada Écologie des écosystèmes continentaux à l'UQAR et chercheur de l'Équipe Écologie et évolution des communautés à l'Université Montpellier II

 



Mots-clés: biodiversité, espèces, écosystèmes, biologie, écologie, bactérie


Un chercheur de l’Université du Québec à Rimouski, en collaboration avec des chercheurs de l’université de Montpellier-II et de l’université d’Oxford (1), vient de montrer que l’histoire évolutive des espèces modifiait l’effet de la biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes. Ces chercheurs ont fait évoluer en laboratoire des souches de bactéries pendant plusieurs centaines de générations sous différentes conditions environnementales et les ont ensuite assemblé en communautés de différentes diversités. Les communautés constituées des bactéries qui avaient évolué dans les environnements les plus complexes se sont révélées être les plus productives. Dans le contexte actuel de l’érosion de la biodiversité, ces résultats publiés dans la revue Nature (2) ouvrent de nouvelles perspectives sur la relation entre la diversité du vivant et le fonctionnement des systèmes écologiques.

2010 a été proclamée l’année internationale de la biodiversité. Cette célébration fait suite à l’année de Darwin célébrée en 2009 pour les 150 ans de la publication de L’origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle. Lorsque Darwin a développé la théorie de la sélection naturelle, il assumait que les changements évolutifs étaient généralement lents, et dans la plupart des cas impossibles à observer par l’humain.

Les bactéries ont évolué dans des microplaques
Biolog® dont chaque puit contenait une source de carbone différente.

Tous droits réservés . Patrick Venail

 

150 après les travaux de Darwin, il est désormais possible de les observer, grâce à l’évolution expérimentale. Le principe repose sur la rapidité des micro-organismes à se reproduire. Grâce à cela, il est possible de les cultiver en laboratoire sur des dizaines ou centaines de générations, puis d’observer « en direct » l’apparition de mutations et la sélection naturelle. Passant d’études historiques à l’étude de l’évolution en temps réel, l’évolution expérimentale a ainsi radicalement transformé le domaine de l’écologie évolutive.

À l’aide de cet outil, les chercheurs de cette équipe, composée d’écologues et de microbiologistes, ont étudié comment l’histoire évolutive des espèces pouvait affecter la relation entre la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Dans un contexte où la biodiversité s’effrite à un rythme sans précédent, il semble impératif de mieux comprendre les conséquences de son érosion (3). Un élément important des théories écologique et  évolutive est le concept de niche écologique, la niche étant en quelque sorte l’environnement auquel les espèces sont adaptées. Si une extinction d’espèce survient et libère une niche, la productivité (associée au fonctionnement) de l’écosystème sera potentiellement diminuée parce que les espèces qui restent ne seront pas forcément adaptées pour utiliser cette niche libre. C’est ce type de mécanisme qui est aujourd’hui utilisé par les
écologues pour souligner les effets potentiellement négatifs de l’érosion de la biodiversité (3).

Par contre la relation entre l’évolution des espèces, et donc de leur niche écologique, et le fonctionnement des écosystèmes reste encore à élucider. Ces chercheurs ont donc fait évoluer séparément des bactéries en laboratoire pour qu’elles acquièrent différentes niches écologiques. Ils ont fait évoluer les bactéries soit sur un milieu simple composé d’une seule source de carbone, soit sur un milieu complexe composé de 31 sources de carbone. Ils ont ainsi obtenu des lignées ayant différentes « histoires évolutives » : des spécialistes (capables d’utiliser peu de source de carbone) et des généralistes (capables d’utiliser de nombreuses sources de carbone). Ils ont ensuite assemblé un nombre de lignées variable, de façon à « simuler » au laboratoire les conséquences sur le fonctionnement des communautés des extinctions d’espèces. Ce faisant, ils ont pu démontrer que, indépendamment du nombre d’espèces qui composait la communauté, ce sont d’abord les stratégies des espèces (généralistes ou spécialistes) et donc leur histoire évolutive qui déterminent la force de la relation liant diversité et fonctionnement. Ainsi, ils ont montré que les assemblages d’espèces qui ont évolué sur un environnement complexe (généralistes) ont une plus forte productivité que les assemblages d’espèces ayant évolué sur des environnements simples (spécialistes). Par contre, les espèces spécialistes ont un impact beaucoup plus important sur la productivité : la perte d’une espèce spécialiste réduisant davantage la productivité que celle d’une espèce généraliste.

Ces résultats suggèrent que l'évolution conduit à une forte complexification des systèmes écologiques débouchant sur un meilleur fonctionnement. Ces chercheurs ont montré comment les conditions environnementales (simple ou complexe) dans lesquelles les espèces évoluent modulent l’intensité de la relation liant diversité et fonctionnement des écosystèmes. C’est alors la diversité des stratégies écologiques au sein des assemblages écologiques qui va déterminer la force de cette relation plutôt que le nombre d’espèce per se. Ces travaux illustrent aussi que les espèces spécialistes remplissent un rôle écologique souvent unique et que leur perte aura donc potentiellement plus d’impact sur le fonctionnement que celle des espèces généralistes. Ces résultats sont d’autant plus importants que les espèces spécialistes sont souvent les plus sensibles aux changements globaux et donc les plus susceptibles de disparaître dans un futur proche !


(1) Université du Quebec à Rimouski, Canada, Département de Biologie, Chimie et Geographie. Department of Zoology, University of Oxford. Institut des Sciences de l'Evolution (CNRS UMR5554), Université Montpellier II. Laboratoire Ecosystèmes Lagunaires (CNRS UMR5119), Université Montpellier II.

 

(2) Experimental niche evolution alters the strength of the diversity–productivity relationship. Gravel, D., Bell, T. Barbera, C., Bouvier T, Pommier, T., Venail PA & Mouquet N. Nature 2010.

 

(3) Voir par exemple : Mouquet N, I Gounand, I et Gravel, D. (2010). Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Regards SFE #3.

 

Pour l'article complet publié dans Nature [en anglais seulement]

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