Le recensement canadien 2011 : l’analyse économique domine

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Par Harvey L. Mead
Premier Commissaire au développement durable du Québec 2007-2008 et auteur de L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (MultiMondes, 2011)


Mots-clés : croissance, déclin démographique, empreinte écologique, remplacement des générations, immigration, sables bitumineux

 

Dans un éditorial du Devoir du 10 février dernier [1], Jean-Robert Sansfaçon aborde un problème de fond des économies des pays riches, en commentant les récentes informations fournies par le recensement canadien [2]. Sansfaçon, un économiste, surprend par l’absence de recul face à ces données; il les insère dans une analyse qui se veut sociétale mais où dominent les paramètres de l’analyse économique.

Celle-ci se préoccupe de la stabilisation et du vieillissement de la population du Québec, en fait, du bassin des travailleurs, avec la prise de retraite par les babyboomers : une baisse du rythme de la croissance économique qui ne sera qu’environ 3,6 % dans la décennie qui vient; une croissance démographique qui n’a été que de 4,7 % pendant les 5 dernières années et qui continue à la baisse.

 

Le remplacement des générations

La préoccupation est constante : on n’assure pas le « remplacement des générations », et cela cause des problèmes pour la croissance économique. Il y a lieu de se questionner quant à la pensée qui arrive à ce constat, alors qu’il n’y avait aucune préoccupation face au dépassement de ce taux de remplacement pendant les décennies où la population du Québec s’accroissait.

Le Québec a plus que doublé sa population pendant les vies de M. Sansfaçon et moi-même.  Avec le « minime » taux de croissance démographique de seulement 5 % pour chaque période quinquennale à venir, cela nous prendra moins de temps pour la doubler encore.

 

L’empreinte écologique des Québécois

Personne ne semble se poser la question quant à la taille et la composition de la population de la société québécoise qui serait optimale. Pourtant, la vie de la société québécoise, aujourd’hui, exigerait le support de trois planètes si toute la population humaine vivait comme elle. C’est le constat plutôt simple et direct devant le calcul de l’empreinte écologique que j’ai fait quand j’étais Commissaire au développement durable en 2007 [3]. Rien ne permet de croire que nous pouvons éviter les conséquences (le mot de M. Sansfaçon, dans le contexte de l’analyse économique allant dans un tout autre sens) sur notre niveau de vie sans un changement radical de celui-ci. Et le calcul de l’empreinte écologique de l’ensemble des humains, fait par d’autres, nous informe que déjà la population humaine nécessiterait une planète et demi juste pour la soutenir.

Plus sérieux, cela est sans prendre en compte le fait que trois ou quatre milliards de personnes vivent actuellement dans la pauvreté et cherchent à en sortir. Le printemps arabe et toute la série d’interventions similaires en 2011 allaient de paire avec la recherche d’une vie pour elles meilleure que ce qu’elles connaissent actuellement – et une augmentation par conséquent de l’empreinte écologique de l’humanité qui ferait grimper davantage notre taux de réduction de notre capital de base.

 

Figure 1 : Planète obèse 2006 : l’empreinte écologique

Source:  Living Planet Report, WWF, Zoological Society of London, Global Footprint Network (2006) http://www.footprintnetwork.org/en/index.php/GFN/

 

Reconnaître le constat économique

C’est un constat économique que les économistes ne semblent pas vouloir reconnaître : vivre au-delà de la capacité de la planète à nous soutenir représente une dépense qui mine notre capital, qui est déjà en forte baisse. La « croissance économique » cherche de façon inéluctable et par tous les moyens – démographique, consommation de ressources renouvelables et non renouvelables, production de déchets (dont les émissions de gaz à effet de serre qui stimulent le changement climatique), autres – à augmenter notre impact sur la planète, sans y penser.

M. Sansfaçon y fonce : face aux problèmes de fond que la stabilisation de notre population implique – et nous ajoutons celle de la stabilisation et ensuite la réduction de notre consommation de matière et d’énergie – « on peut restreindre l'accès aux services, les privatiser ou demander à chacun de payer davantage. Mais l'idéal serait de consacrer les efforts nécessaires pour améliorer tous les facteurs de la croissance économique, que ce soit la sélection des immigrants et leur intégration, l'éducation, l'investissement dans les ressources et les technologies ou la productivité des entreprises et du secteur public. »

 

Faire aussi bien que l’Alberta ?

Formule dominante depuis des décennies, cette analyse économique laisse à d’autres, et par après, la prise en compte de tous les problèmes qui sont associés à cette liste d’épicerie.  Pour cette analyse, c’est le principal résultat du recensement canadien que de montrer que l’Alberta et la Saskatchewan connaissent une croissance économique bien « meilleure » que la nôtre, jumelée à une croissance démographique également « meilleure » que la nôtre.

Nous nous opposons au Québec à l’exploitation des sables bitumineux, mais tout dans le discours de M. Sansfaçon cherche à rechercher des moyens pour le Québec de faire « aussi bien » que ces provinces. Nous ne prenons pas connaissance du fait que notre propre comportement bien ordinaire, pas aussi destructeur que celui des provinces où on exploite les sables bitumineux – l’empreinte écologique de l’Alberta exigerait près de cinq planètes en soutien – , comporte aussi la destruction de la planète, telle que montrée par notre propre empreinte écologique.

L’immigration se trouve en tête de liste des facteurs de la croissance économique présentée par M. Sansfaçon, soit la façon retenue par tous les gouvernements « en déclin démographique » de compenser la stabilisation de leurs populations. Sans entrer dans les débats sur la capacité d’intégrer ses immigrants dans la société, il faut noter que, pour bon nombre d’entre eux, leur arrivée au Québec implique une augmentation, souvent très importante, de leur empreinte écologique. Et étant donné que nous sélectionnons avec soin ces immigrants, pour obtenir les mieux éduqués, les plus fortunés, nous privons leurs pays d’origine de ressources humaines et économiques absolument nécessaires pour l’amélioration de leur propre sort.

 

Le Canada, un pays de rêve ?

En fait, le Canada est un pays de rêve pour les trois ou quatre milliards de personnes vivant dans la pauvreté et ayant une empreinte écologique par conséquent qui respecte la capacité de support de la planète.

Le défi mondial que les économistes se montrent incapables de saisir, dans leurs conseils à nous et à nos gouvernants, est économique dans un sens plus large. Nous devons réduire dramatiquement notre impact sur la planète, et cela implique nécessairement une baisse radicale et une transformation aussi radicale de notre activité économique, et probablement même de notre niveau de vie défini en termes matériels. Le recensement canadien fournit des informations inquiétantes à cet égard, mais non celles ciblées par M. Sansfaçon.

 

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