Produits dangereux?

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En 2012, Jonathan Verreault et son équipe ont été les premiers à démontrer la présence de plusieurs nouveaux contaminants utilisés comme retardateurs de flamme dans les tissus des goélands. Le professeur du Département des sciences biologiques publiera en mai un nouvel article dans Science of the Total Environment, avec des collègues chercheurs d'Environnement Canada et du ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs. «Nous avons trouvé ces même contaminants et d’autres nouveaux dans des poissons du Saint-Laurent», souligne-t-il.

Les retardateurs de flamme sont des composés moléculaires ajoutés à une pléthore de produits de consommation – dans les plastiques, les textiles, les matelas et les appareils électroniques – afin, comme leur nom l'indique, de retarder la propagation de la flamme en cas d'incendie. «Ils n'empêchent pas les produits de brûler en bout de ligne, mais cela prendra quelques minutes supplémentaires avant qu'ils ne s'enflamment», explique Jonathan Verreault, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en toxicologie comparée des espèces aviaires.

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Les retardateurs de flamme actuellement utilisés se retrouvent sous la loupe des scientifiques, car les produits qui les ont précédés ont été bannis. L'industrie se sert de ce genre de composés depuis les années 1970-80, précise le chercheur. «Autrefois, on utilisait des biphényles polychlorés, connus sous le nom de BPC, qui ont été bannis en 1977 au Canada. Ils ont été remplacés par des polybromodiphényléthers (PBDE). Ces derniers ont été bannis en 2006, car il a été démontré que ce sont des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques.» Les PBDE ne sont plus utilisés par les fabricants canadiens, mais aucune réglementation n'empêche l'importation de produits étrangers qui en contiennent.

Jonathan Verreault et ses collègues ont démontré la présence de PBDE et des nouveaux retardateurs de flamme dans les tissus des goélands et, récemment, dans ceux de deux espèces de poissons: le maskinongé et le brochet, des prédateurs supérieurs de l'écosystème aquatique au sommet de la chaîne alimentaire. «Comme ce sont des poissons qui vivent très vieux et qui se nourrissent de poissons et de batraciens, ils ont le potentiel d'accumuler des niveaux très élevés de ces substances dans leur organisme», souligne le professeur, membre du Centre de recherche en toxicologie de l'environnement (TOXEN).

La contamination de l'eau

Les composés moléculaires appelés retardateurs de flamme sont libérés avec l'usure normale des produits de consommation auxquels ils ont été ajoutés. Ils adhèrent aux particules et se propagent dans notre environnement immédiat, précise Jonathan Verreault. Ces contaminants, lessivés par la pluie et la neige, se retrouvent dans les égouts, les dépotoirs et les usines d'épuration, qui sont impuissantes à les éliminer. «Des études ont démontré que les concentrations de PBDE étaient 150 fois plus élevées en aval du point de rejet des eaux usées de la Communauté urbaine de Montréal qu'en amont», note le chercheur.

Son but n'est pas d'analyser les retardateurs de flamme dans tout ce qui existe, précise-t-il. «Nous voulons comprendre les sources de ces composés, leur distribution dans l'environnement et leur devenir dans l'organisme des goélands et des poissons. Sont-ils biotransformés? Sont-ils assimilables par l'organisme? Ont-ils des effets délétères? Peut-on les considérer comme des perturbateurs du système endocrinien?»

« Environ 80 % des meubles et accessoires pour bébé contiennent des retardateurs de flamme. Cela relève d'une obsession sécuritaire un peu vaine, car un meuble traité avec des retardateurs de flamme va finir par s'enflammer quand même. En plus, la combustion de ces composés génère des sous-produits encore plus toxiques dans l'air.» Jonathan Verreault, professeur au Département des sciences biologiques.

Le scientifique et ses collègues publieront prochainement une autre étude qui établit la présence de ces contaminants jusqu'en Arctique! «Nous en avons trouvé dans les tissus de goélands à Cape Dorset, sur l'île de Baffin, précise-t-il. Il n'y a pas d'industries et peu de population, mais les retardateurs de flamme s'y retrouvent en raison des courants atmosphériques, car ces composés peuvent être aéroportés sur de longues distances. C'est l'une des caractéristiques qui nous inquiètent le plus.»

Un danger pour la santé?

Comme ces contaminants se retrouvent dans la poussière, qui en est le vecteur principal, nous y sommes exposés sur une base quotidienne par inhalation et par contact dermique. «C'est d'autant plus critique chez les très jeunes enfants qui évoluent au niveau du sol et qui mettent tout dans leur bouche», note le chercheur, qui déplore la surutilisation de ces composés. Les PBDE, par exemple, affecteraient le système hormonal, la glande thyroïde et le développement du cerveau des enfants durant la grossesse. «Environ 80 % des meubles et accessoires pour bébé contiennent des retardateurs de flamme, poursuit Jonathan Verreault. Cela relève d'une obsession sécuritaire un peu vaine, car un meuble traité avec des retardateurs de flamme va finir par s'enflammer quand même. En plus, la combustion de ces composés génère des sous-produits encore plus toxiques dans l'air. Or, la plupart des gens qui meurent lors d'un incendie ne meurent pas de leurs brûlures, mais par asphyxie. Les retardateurs de flamme n'aident donc en rien. Cela ne sauve pas des vies comme l'industrie le clame haut et fort.»

Le lobby de l'industrie chimique affirme que depuis l'utilisation des PBDE, dans les années 1970-80, le nombre de décès liés aux incendies a chuté. Mais cela a été contredit par la recherche, précise Jonathan Verreault. «La chute du nombre de décès est davantage liée à la baisse du nombre de fumeurs – 50 % de moins en Amérique du Nord – et aux codes du bâtiment qui ont été améliorés, notamment avec l'imposition de gicleurs automatiques.»

Le principe de précaution

C'est une aberration d'avoir remplacé les PBDE par des retardateurs de flamme de nouvelle génération, croit Jonathan Verreault. «Un produit de remplacement doit être moins toxique, non bioaccumulable et il doit se dégrader rapidement dans l'environnement. Nos études n'en sont qu'à la phase préliminaire, mais cela ne semble pas être le cas.»

Plusieurs citoyens s'inquiètent, puisque les produits qui contiennent des retardateurs de flamme n'en font pas mention, aucune loi ne les y obligeant. «Regrouper suffisamment de preuves pour démontrer la toxicité d'un composé peut prendre une dizaine d'années, note le professeur. Il faut que plusieurs chercheurs s'y mettent pour que les instances publiques, Santé Canada et Environnement Canada en tête, décident de réglementer. Cela dit, il y a une plus grande proactivité de la part des décideurs. Des fonds de recherche spécifiques sont créés. La première auteure de l'un de nos articles, Magali Houde, est chercheuse à Environnement Canada et elle a bénéficié de ces fonds de recherche.»

Jonathan Verreault espère que l'on ne répétera pas les erreurs des BPC et des PBDE. «Il faudrait appliquer le principe de précaution, comme on le fait depuis longtemps en Europe», conclut-il.

Jonathan Verreault a participé à un reportage de l'émission La Facture sur le sujet. Ce reportage a été diffusé le 11 mars dernier. On peut le voir ici: http://ici.radio-canada.ca/emissions/la_facture/2013-2014/Reportage.asp?idDoc=331018#leplayer

 

Source: Pierre-Etienne Caza, actualités de l'UQAM

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