Changements climatiques : Et on les croit juste moins informés que nous…

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Des chercheurs de l’Université de Montréal, en partenariat avec quatre institutions américaines, ont compilé dans une carte interactive les opinions des Canadiennes et des Canadiens sur le réchauffement planétaire. Comme on pouvait s’y attendre, la croyance qu’il existe un réchauffement ou que celui-ci est causé en partie ou en majorité par l’activité humaine atteint un plancher dans les provinces centrales du Canada et elle remonte dans les provinces dites côtières. Les provinces des Prairies ont aussi la plus grande réticence envers toute mesure de mitigation comme une taxe ou un marché du carbone. Il n’y a donc aucun étonnement dans la boîte à surprises. D’ailleurs, Fort McMurray en Alberta est la circonscription où l’opinion climato-sceptique est la plus forte.

 

Des données statistiques : les Canadiens sont divisés

D’un océan à l’autre, 79% des Canadiens croient qu’on assiste réellement à une augmentation de la température. Dans une moindre proportion, les Américains sont 63% à partager cette opinion. Ouf, on y a échappé, les apparences de supériorité morale sur nos  voisins du sud sont sauvées. Cependant, seuls 44% des Canadiens estiment que le réchauffement est causé en majorité par les activités de l’homme, tandis qu’il s’agit, au contraire, de l’opinion de la quasi-totalité des climatologues.

On explique généralement, de diverses façons, cette méprise envers l’évidence scientifique. Certains y voient la défaite de la vérité, des faits, un triomphe de la stupidité humaine, d’autres croient plutôt qu’il s’agit de l’effet symptomatique de l’industrie pétrolière qui joue en coulisse et oriente l’opinion publique. Les pessimistes diront que les données démontrent l’indifférence et l’apathie sociale des Canadiens, rien de moins.

Le principal auteur de l’étude, Erik Lachapelle, professeur adjoint au département des Sciences politiques de l’université de Montréal a avancé, suite à la publication du sondage, l’explication suivante : « Je crois que ça s’explique en partie par le fait que les Canadiens sont moins informés qu’on pourrait le penser sur la question.». Il en déduit donc que les Canadiens n’arrivent pas aux mêmes conclusions que les scientifiques parce qu’ils sont moins informés sur la question. Il s’est par la suite rétracté en affirmant en entrevue avec Gaïa Presse : « On n’a pas testé cette hypothèse. L’opinion publique est influencée par de multiples facteurs. Tout ce qu’on peut faire, c’est de spéculer à partir des données qu’on a recueillies»

 

L’information ne suffit pas : les intérêts de groupe demeurent importants

Erik Lachapelle n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à avancer cette interprétation. Elle fait partie d’une théorie plus vaste que l’on nomme le déficit de compréhension. Elle sous-entend que des gens plus informés ou éduqués se sentiraient plus concernés par les risques que comporte le réchauffement planétaire. En d’autres mots, parce ce que le public ne comprend pas ce que les scientifiques étudient ou ne pense pas de la même manière qu’un scientifique, celui-ci ne prend pas au sérieux les changements climatiques qui en résultent. La piètre littératie scientifique et numérique seraient responsables de l’écart entre le consensus des climatologues et l’opinion des Canadiens. « On n’a pas posé la question s’ils étaient moins informsé ou pas. L’information est un élément nécessaire, mais non-suffisant à la formation d’une opinion publique sur le réchauffement climatique. » concède Érik Lachapelle.

En 2012, Dan Kahan de l’Université Yale a publié un court article décrivant les résultats d’un sondage réalisé auprès de 1500 adultes américains. Il constate que plus la littératie scientifique et numérique est grande et moins les Américains croient que les changements climatiques posent un risque sérieux pour l’humain. C’est une faible corrélation et une seule étude direz-vous, mais Dan Kahan et plusieurs autres sociologues ont conduit des études similaires depuis les 15 dernières années. Ils s’appuient sur le modèle de la culture cognitive qui stipule que les individus tendent à former des opinions qui sont cohérentes avec les valeurs du groupe ou des groupes auxquels ils s’identifient. Toute information menaçant l’appartenance d’un individu à un groupe sera rejetée. «C’est plus solide de parler de l’appartenance à une économie politique. Ce sont des intérêts économiques qui jouent un rôle clé. Une simple information ne va pas changer la donne », admet Érik Lachapelle.

Donc, ces croyances/opinions n’ont pas pour origine une incompréhension de la chose scientifique. Elles s’inscrivent dans les rapports qu’entretiennent les individus en société.

Le modèle de la culture cognitive grignote  depuis les dernières années peu à peu le monument du déficit de compréhension. Ce postulat de l’époque des lumières reprend le mythe très répandu qu’informer, éduquer davantage les gens et, de facto, les faits convaincront d’eux-mêmes. Les données, la preuve scientifique, les modèles en convaincront peu dans ce débat. Il faudra plutôt  chercher à faire la promotion des bénéfices que la lutte aux changements climatiques peut apporter sur les plans économique et social afin de persuader un plus grand nombre de citoyens à s’engager dans cette voie.

 

La qualité de vie et une nouvelle économie : des arguments  convaincants

La résistance à reconnaître que le réchauffement climatique et ses impacts constituent une problématique majeure et planétaire qui doit être rapidement pris en compte déclinera si les citoyens canadiens prennent conscience qu’ils peuvent tirer avantage des solutions et des projets proposés pour changer le cours des choses. Les effets bénéfiques demeurent nombreux et identifiables. La qualité de vie, en termes de santé publique, par la réduction de la pollution et du coût que cela représente, une économie misant sur l’achat local (diminution  énergétique quant aux transports) et le développement de nouveaux secteurs dans la production de biens et  de services (création d’emplois, développement des compétences) de même que l’atténuation des phénomènes climatiques récurrents et imprévisibles (pluies, sécheresses, érosion) pourraient être des arguments et des démonstrations conduisant à confondre les sceptiques. On ne peut que le souhaiter.

Mizaël Bilodeau
Journaliste pour GaïaPresse

Étudiant en journalisme à l’Université du Québec à Montréal, Mizaël Bilodeau est membre de l’équipe de rédaction de GaïaPresse et contribue de façon suivie à la rédaction d’articles et d’analyses. Volontaire et rigoureux, il poursuit des recherches sur les énergies renouvelables (éolienne) et l’écofiscalité (marché du carbone).

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