Spécial élections québécoises – Les milieux humides au Québec : un moratoire s’impose

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Par Richard Pelletier, biologiste au CRE de Laval
et André Porlier, directeur général du CRE-Montréal


 

Dans le cadre de l’actuelle campagne électorale, plusieurs groupes environnementaux ont interpellé tous les partis politiques pour savoir s’ils seraient prêts dans un premier temps, à imposer un moratoire pour assurer la protection des milieux humides à court terme et, d’établir clairement par la suite des mesures de protection des milieux humides du Québec. À cette question, seulement trois des cinq partis politiques, soit l’Action démocratique du Québec (ADQ), Québec Solidaire (QS) et le Parti vert du Québec (PVQ), se sont dit favorables à un moratoire et à l’adoption d’une réglementation pour assurer la protection des milieux humides en milieux urbains et périurbains. Comme quoi la partie n’est pas gagnée. La méconnaissance de nos élus locaux et provinciaux et des développeurs sur les enjeux liés à ce dossier demeure notre plus grand défi pour les amener à reconnaître l’importance de protéger les milieux humides. 

Chez nous

Au Québec, les milieux humides occupent 12 151 000 (1) millions d’hectares, soit 10 % du territoire. Dans un document d’information, le gouvernement provincial considère qu’ « il est donc primordial de conserver ces milieux, particulièrement dans les régions où les développements urbains ont contribué à leur dégradation ou à leur disparition ».

À cet effet, l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) crée l’obligation d’obtenir une autorisation préalable à certains travaux ou à certaines activités qui sont de nature à modifier ou altérer un milieu humide. Par cette directive, le gouvernement du Québec vise le maintien des fonctions écologiques des milieux humides sur le territoire dans une perspective de développement durable. Il reconnaît que la « mise en valeur des territoires et des ressources doit prendre en considération et tendre à maintenir les avantages qu’offre à la société la présence des milieux humides » (MDDEP, Québec).

Considérations économiques et politiques

Ces aires naturelles fournissent de nombreux biens et services qui revêtent une valeur économique qui dépasse largement les bénéfices découlant de leur conversion pour des utilisations humaines (développement agricole et urbain) (2).

Le Canada reconnaît lui aussi la valeur des terres humides sur son territoire dont il évalue la superficie à plus de 127 194 000 (1) hectares, soit un quart de la superficie mondiale des terres humides. En 1988, on estimait à plus de 10 milliards de dollars par année au Canada les retombées économiques provenant des terres humides.

Leur valeur économique suffit, à elle seule, à militer en faveur de leur conservation.

Malgré ces constatations, on apprend dans La Politique fédérale sur la conservation des terres humides (Gouvernement du Canada, 1991) que : « la perte et la dégradation de terres humides n’ont cessé de croître au cours des deux derniers siècles. Depuis 1800, environ 20 millions d’hectares, soit un septième de la superficie des terres humides du Canada, ont été asséchés ou consacrés à d’autres fins. Des millions d’autres hectares ont été gravement dégradés ou risquent de l’être incessamment ». Toujours dans ce document,  on précise que « de 80 % à 98 % des terres humides se trouvant à l’intérieur ou à proximité de bon nombre des agglomérations urbaines du Canada ont été perdues ».

Les milieux humides

Les milieux humides sont des endroits ni strictement terrestres, ni strictement aquatiques, qui ont en commun d’être inondés ou saturés d’eau durant une partie de l’année. Pour les désigner, on utilise fréquemment les termes marais, marécage, eau peu profonde, prairie humide, tourbière, bande riveraine, terres humides, etc.
On trouve les milieux humides là où l’eau demeure à la surface du sol ou près de celle-ci pendant une période suffisamment longue pour influencer la végétation qui y pousse. Le plus souvent, ils occupent les rives des étangs, des lacs et des cours d’eau à débit lent, mais également ailleurs, comme au bas des pentes où l’eau ne s’égoutte que très lentement ou dans les dépressions naturelles et artificielles peu profondes où l’eau s’accumule.

Les milieux humides ne sont pas seulement des refuges à grenouilles. Ils  remplissent de multiples fonctions, notamment sur le plan écologique, biogéochimique, hydrologique, et procurent de nombreux avantages à la collectivité. Telles de grosses éponges, les milieux humides régularisent le débit des cours d’eau en emmagasinant les eaux de crue et de précipitation, et en les libérant ensuite sur de plus longues périodes et lors de périodes de sécheresse. Ils contribuent à l’épuration naturelle des eaux en agissant comme un filtre. Ils servent de puits pour les polluants tels le soufre que contiennent les pluies acides, et les métaux lourds. De nombreuses espèces fauniques et floristiques, dont plusieurs en péril, en sont totalement dépendantes (nourriture, protection, habitat). Dans les bandes riveraines, les milieux humides exercent des fonctions d’écran solaire et de brise-vent naturel, en permettant par le maintien de la végétation, de préserver l’eau d’un réchauffement excessif et de protéger les sols et les cultures des dommages causés par le vent. Ce sont enfin de fabuleuses machines à emmagasiner le carbone.

De la théorie à la pratique

En 2005, le journaliste Louis-Gilles Francoeur du journal Le Devoir avait publié un dossier spécial sur les milieux humides qui s’intitulait «Laval : le dossier noir de l’environnement et Laval : des milieux humides pris d’assaut».

Dans un document interne obtenu par le journal La Presse en 2006, le ministère de l’Environnement de l’époque constatait « une disparition persistante des milieux humides » jugés essentiels pour la biodiversité et pour le régime des eaux (3). Une politique visant leur protection est sans cesse promise…et sans cesse remise.
Malgré ces alertes, la disparition persistante des milieux humides, en particulier dans les Basses-Terres du Saint-Laurent (perte de 45 % au cours des 40 dernières années), n’est pas près de se résorber. En effet, la démarche d’autorisation des projets dans les milieux humides élaborée par le MDDEP à l’automne 2006 prévoit la délivrance « systématique » du certificat d’autorisation sur la base de la déclaration signée par un professionnel.

Un suivi de ces milieux sur le territoire de Laval réalisé entre 2004 et 2007 par le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval révèle que, depuis 2004, 29 % des 353 milieux humides de la zone d’urbanisation (zone blanche) ont totalement ou en partie disparu. À la veille de  l’année 2009, on constate que, non seulement rien n’a changé, mais que la situation s’est même détériorée durant les dernières années. 

Sur le territoire de l’île de Montréal, les informations obtenues par le CRE-Montréal indiquent que pas moins de 18 certificats d’autorisation ont été délivrés par le MDDEP au cours des dernières années à des promoteurs privés et même à la Ville de Montréal (pour la construction d’une mairie d’arrondissement). Bien que plusieurs de ces projets aient fait l’objet de négociations de la part du MDDEP, l’application de la directive gouvernementale d’émission des certificats d’autorisation basée sur le principe « de minimiser et compenser la destruction des milieux humides » n’a pas empêché une perte nette de milieux humides dans la grande région de Montréal.

Vers une véritable protection des milieux humides

Le gouvernement du Québec se doit d’intervenir rapidement pour freiner la disparition progressive des milieux humides. Il doit décréter un moratoire pour toute construction sur ces terres situées en zone urbaine et périurbaine. Ce moratoire lui donnera le temps d’aider les municipalités à réaliser un inventaire exhaustif de ces milieux sur leur territoire. Cet inventaire permettra d’identifier et d’inventorier les milieux humides en fonction de leur taille, de leur biodiversité mais également de leur rôle dans l’écosystème aquatique. Une meilleure connaissance du nombre et de l’état de nos milieux humides est en effet indispensable à l’identification d’objectifs de conservation et de protection des milieux humides.

 


    


Par Richard Pelletier, biologiste au CRE de Laval
et André Porlier, directeur général du CRE-Montréal

Richard Pelletier est biologiste au CRE de Laval. Le Conseil régional de l’environnement de Laval est un organisme à but non lucratif fondé en 1996 par les citoyens et les organismes environnementaux. Sa mission est d’améliorer la qualité de l’environnement et de promouvoir le développement durable à Laval.
 
André Porlier
 est le Directeur général
 du Conseil régional de l’environnement de Montréal. Créé en 1996, le CRE-Montréal est un organisme à but non lucratif qui regroupe des organisations préoccupées par la réhabilitation, le maintien et l’amélioration des milieux de vie naturels, cultivés et urbains. Le CRE-Montréal agit principalement sur le territoire de l’île de Montréal. Sa mission première consiste à promouvoir l’intégration des valeurs environnementales dans le développement local et régional et sa stratégie favorise le partage d’expertises et d’informations, l’éducation, la démocratisation des processus décisionnels, la concertation et la réalisation de projets concrets avec les intervenants du milieu.

 


Sources : 

(1) L’Atlas du Canada
(2) 
Dans un rapport publié en novembre 2004, Mme Nancy Olewiler, une des principales  expertes canadiennes en économie environnementale, fait grand état de la valeur du capital naturel dans les régions peuplées du Canada (The Value of Natural Capital in Settled Areas of Canada. Publié par Canards Illimités Canada et Conservation de la nature Canada).

(3) André Noël,  Les milieux humides disparaissent, article paru dans le journal La Presse , 3 octobre 2006).

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