Copenhague 2009 – Le Canada s’expose à l’exclusion des marchés du carbone

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Par Nicolas Mesly,
Reporter photographe


 

Mots-clés : émissions de gaz à effet de serre (GES), Protocole de Kyoto, Canada, engagements, sanctions juridiques.

Le non respect des engagements de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada pris avec la signature du Protocole de Kyoto risque de coûter très cher aux entreprises et aux contribuables du pays, y compris du Québec. « Nous saurons, le 1ier janvier 2013, quelles sanctions risquent de subir le Canada », explique Géraud de Lassus Saint-Genies, doctorant à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval.

Lors d’un discours prononcé à Montréal le 4 décembre dernier, le ministre canadien de l’Environnement, Jim Prentice, a clairement indiqué vouloir copier les États-Unis en matière de lutte au réchauffement climatique. « Compte tenu de l’intégration de nos deux économies, il est essentiel que nos cibles demeurent alignées – ni plus, ni moins », a-t-il dit.

Le problème, c’est que les États-Unis visent des cibles provisoires de réduction des émissions de GES de 17 % d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 2005. Et en se collant à l’objectif américain, le Canada renie son engagement initial, signé en décembre 2002, qui consistait à réduire les GES de 6 % par rapport à l’année de référence de 1990 pour la période 2008-2012, soit la durée de l’accord de Kyoto. Au lieu d’une réduction, le Canada a augmenté de 26 % ses émissions de GES par rapport à l’année de référence 1990.

 

Tracasseries juridiques en vue

En adoptant une attitude de déni de ses responsabilités, le Canada s’expose à plusieurs procédures juridiques. La première est un avertissement au Canada pour non respect de ses engagements, lequel serait émis par le Comité de contrôle du respect des dispositions du Protocole de Kyoto, à la suite d’une plainte déposée au Secrétariat du Protocole. Ce Comité est composé d’experts indépendants désignés par les parties prenantes à cette convention.

« Le Canada a déjà eu un avertissement du Comité en 2008 pour ne pas avoir de registre national d’échanges d’émissions. Ce registre a été mis en place et le cas a été abandonné », explique Henry Derwent, président et chef de la direction de l’International Emission Trading Association.

 

Exclus des marchés de carbone?

Si cette première procédure semble inoffensive, la seconde prévoit l’exclusion du Canada des marchés et des projets de carbone prévus dans l’accord de Kyoto. « C’est la sanction principale de cet accord », poursuit M. Derwent.

Selon Josh Margolis, chef de la direction chez CantorCO2e, le marché mondial de carbone passera de 40 G $ en 2006 à 550 G $ en 2012, à plus de 4,2 trillions $ en 2030. « Plusieurs compagnies canadiennes et multinationales établies au Canada se positionnent et voient une opportunité d’affaires dans le marché de carbone », explique ce courtier californien spécialisé dans les échanges mondiaux d’émissions de carbone et qui a pignon sur rue à Toronto, au Canada, mais également en Europe, au Japon, en Inde, au Brésil, et au Chili.

« Les sociétés canadiennes pourraient continuer d’acheter des crédits de carbone sur le marché international mais leurs efforts ne seraient pas reconnus par les Nations Unies », poursuit M. Derwent. Quelque 700 entreprises canadiennes appelées « grands émetteurs » anticipent de participer un jour à une éventuelle bourse de carbone canadienne, voire nord- américaine. « Nous attendons un cadre réglementaire du gouvernement fédéral, même s’il semble se coller au cadre américain. Plus les cibles de réductions de CO2 vont être contraignantes, plus le prix de la tonne de CO2 va être élevé. On va en savoir plus après Copenhague », explique Léon Bitton, vice-président, recherche et développement, à la Bourse de Montréal

 

Ottawa sape le marché climatique

La bourse climatique de Montréal, une coentreprise fondée en 2006 avec la Chicago Climate Exchange, a débuté ses opérations en juin 2009. Le prix à terme d’une tonne d’équivalent en dioxyde de carbone (CO2e) se transige à 5, 00 $, livrable en mars 2011, et de 6,50 $ un an plus tard. Selon M. Bitton, le prix de la tonne de CO2e a déjà atteint 16,00 $ pour replonger dans une fourchette de 4,00 $ à 6,00 $ lorsque Ottawa a renoncé à divulguer un plan de match contraignant de lutte aux changements climatiques. Pour le moment, la quantité de polluants transigée à la Bourse de Montréal est lilliputienne. 

Par ailleurs, « plusieurs observateurs croient que les bourses nationales et régionales, préférablement mais pas nécessairement liées aux Nations Unies, prennent plus d’importance et dominent le marché du carbone à court et à moyen terme », soutient M. Derwent. Toutefois, même si le Canada se dote d’une ou de plusieurs bourses de carbone seul ou avec le voisin américain, cela ne veut pas dire que le pays s’en tirera à bon compte.

 

Des dommages collatéraux

Pionnière dans le domaine de la bourse de carbone, l’Europe a soutenu  dès 2005 un système d’échange de droits de pollution pour tenter de refroidir la planète. Les bourses climatiques européennes, où le prix de la tonne de CO2e a déjà atteint 50 €, visent à réduire de 8 %  les GES des 27 pays membres de l’Union européenne (UE) d’ici 2012 sous les niveaux de 1990.

Le non respect prévisible de ses engagements au Protocole de Kyoto et son attitude actuelle ternit la réputation du Canada dans un contexte d’urgence climatique. « Nous n’avons pas le même poids ni la même masse critique que les États-Unis sur la scène internationale. Aussi, le traitement réservé aux États-Unis pourrait être fort différent de celui qui nous attend », mentionne Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement.

Le flamboyant président français Nicolas Sarkozy, qui fut président du conseil de l’UE de juillet à décembre 2008, a d’ailleurs invoqué une taxe de carbone sur les produits importés par l’UE en provenance de pays qui ne faisaient pas assez d’efforts pour montrer patte verte. Ceci au moment où le Canada et l’UE, un marché de 500 millions d’habitants, négocient un accord commercial qui stimulerait le commerce bilatéral de 20 % et pourrait augmenter le PIB du Canada de 12 milliards $ d’ici 2014.

Interrogée par GaïaPresse à savoir si cette taxe pouvait s’appliquer au Canada, la secrétaire au Commerce extérieure de la Commission européenne, Catherine Ashton, en visite à la Conférence de Montréal le 10 juin dernier, a évité de répondre. Son attaché de presse, Michael Jennings, s’est rapidement interposé pour dire que la question n’était « pas pertinente ». Vraiment?

Le ton, au contraire, risque de se durcir contre le Canada à Copenhague.

 


Par Nicolas Mesly,
Reporter photographe

Globe trotter, Nicolas Mesly est reporter photographe spécialisé dans les enjeux agroalimentaires et écologiques. Ses reportages sont régulièrement primés par la Presse spécialisée du Canada ou honorés par la Fondation des prix du magazine canadien. En savoir plus.

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