Forêt de proximité et nouveau régime forestier – Occasion ratée, rendez-vous reporté

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Par Robert Laplante
Directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)


Mots-clés : Loi sur l’aménagement durable du domaine forestier, Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), forêt, régime forestier, Québec (province de).

La Loi sur l’aménagement durable du domaine forestier adoptée au début d’avril 2010 dans l’indifférence générale a fait l’objet d’une analyse de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC). Dans une Note de recherche intitulée « Forêt de proximité et nouveau régime forestier : occasion ratée, rendez-vous reporté » publiée en septembre, l’institut constate que la nouvelle loi ne modifie pas la logique même du régime forestier qu’elle prétend remplacer. Même si elle redéfinit certaines relations entre les acteurs, elle reste une loi configurée sur la demande des industriels existants.

« La loi reste prisonnière de la logique de l’approvisionnement définie pour rendre possible et soutenir les rationalisations de l’industrie papetière, explique le directeur de l’IRÉC et auteur de l’étude, Robert Laplante. Elle ne reconfigure en rien l’offre forestière, et ne pointe vers aucun objectif de reconfiguration de l’industrie en vue de l’inscrire dans des logiques de développement local et régional. »

Robert Laplante a repéré au moins cinq dispositions constituant autant de motifs pour affirmer que cette loi ne fait que revamper le statu quo et reconduire l’ancien paradigme.

  • Marginalité de la forêt de proximité

Les conventions d’aménagement forestier (CvAF) et les contrats d’aménagement forestier (CtAF) seront convertis en forêt de proximité en 2013. Ils ne couvrent actuellement que 5 % des volumes disponibles. C’est marginal et cela va le demeurer.

  • Tendance à la délocalisation des ressources

Le partage du domaine forestier ne se fait pas sur l’établissement d’une double tenure. En lieu et place, la loi définit deux modalités de réponse à la demande d’approvisionnement. Une première, qui touchera la plus grande part des approvisionnements, reprend le mode de la garantie contractuelle. La seconde se définit par le recours à l’enchère, ce qui aura pour effet de déplacer la concurrence pour l’approvisionnement. Les industriels pourront croître autrement que par l’acquisition des usines auxquelles les contrats d’approvisionnement et d’aménagement de la forêt (CAAF) étaient attachés. La tendance à la délocalisation de la ressource en sera renforcée.

  • Une place résiduelle pour de nouveaux projets et de nouveaux acteurs

La répartition des volumes destinés à l’enchère ou à l’allocation contractuelle n’est nulle part précisée. Les détenteurs de CAAF deviennent des détenteurs de garantie d’approvisionnement forestier (GAF) contrôlant ainsi la plus grande part des bois issus de la forêt publique. Le livre vert parlait d’une proportion de 75 %, la loi ne le précise pas. L’essentiel des volumes disponibles étant attribué à ces GAF, il est d’ores et déjà acquis qu’il ne restera qu’une place résiduelle pour de nouveaux projets, pour l’arrivée de nouveaux acteurs.

  • Aucun nouveau pouvoir pour les élus

La loi ne définit aucun pouvoir nouveau pour les élus locaux. Le nouveau régime forestier n’ouvre sur aucune dynamique de co-construction de la politique forestière. C’est encore la logique des groupes de pression auxquels restent assimilés les instances locales et régionales qui va prévaloir.

  • Une logique de sous-traitance

Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) garde la main haute sur la stratégie de gestion des approvisionnements et sur les modèles d’affaires à privilégier pour la transformation. La déconcentration administrative de l’aménagement vers les directions régionales viendra consacrer la prégnance d’un modèle de sous-traitance pour les travaux, modèle qui ne constituera qu’une nouvelle façon de gérer les retombées locales.

En conclusion, le chercheur de l’IRÉC indique que gouvernement et les franges les plus conservatrices de l’industrie ont peut-être gagné du temps mais les aspirations qui ont provoqué l’émergence du concept de forêt de proximité ne s’éteindront pas. « Les communautés forestières la transformeront en rendez-vous reporté, affirme-t-il. Le nouveau paradigme forestier finira par s’imposer parce que la forêt québécoise est un patrimoine fabuleux auquel ne renonceront pas ceux et celles qui veulent en vivre autrement que soumis au bon vouloir de ceux qui en profitent. »

 


Par Robert Laplante
Directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)

Le directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), Robert Laplante, détient un doctorat d’État en sciences sociales (sociologie) de l’École normale supérieure de Cachan (Paris). Il a publié de nombreux travaux scientifiques, en particulier dans le domaine des études coopératives. Il s’intéresse plus spécifiquement à l’économie politique de l’exploitation forestière et aux questions relatives au développement régional. Il a reçu en 2007 le Prix du mérite coopératif forestier décerné par la Fédération des coopératives forestières du Québec (FCFQ). Son ouvrage sur « L’expérience coopérative de Guyenne » reste une référence pour quiconque s’intéresse aux réalisations de la coopération forestière. En février 2010, il publiait avec Charles Provost un important rapport de recherche intitulé « Le cas de Champneuf et l’émergence de la notion de forêt de proximité ». En août dernier, il publiait une note de recherche intitulée « Forêt de proximité et nouveau régime forestier : occasion ratée, rendez-vous reporté » qui fait une analyse percutante de la nouvelle Loi sur l’aménagement durable du domaine forestier.

 

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