Le projet de Loi 14 : Quelle place pour le développement durable dans un secteur de ressources non renouvelables?

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Par Alexandre Desjardins
Étudiant en droit de l'environnement à l'ULaval


Mots-clés : Mines, droit minier québécois, projet de loi 14

 
Le 12 mai 2011, le ministre délégué aux Ressources naturelles et à la Faune, M. Serge Simard, a présenté à l’Assemblée nationale du Québec le projet de loi 14, nommé Loi sur la mise en valeur des ressources minérales dans le respect des principes de développement durable. Cette initiative, qui vise à réformer la pièce maîtresse du droit minier québécois, propose de donner une place accrue aux principes du développement durable. Pourtant, en y regardant de plus près, ce projet de loi n’introduit que peu de changements fondamentaux dans le régime minier québécois.  

 
Certains nouveaux éléments interprétatifs
Une des modifications proposées qui saute le plus aux yeux est le titre. En effet, l’inscription du développement durable dans l’intitulé est sans doute un signe de l’engagement du gouvernement envers ce nouveau cadre de gestion. C’est, dans tous les cas, l’annonce d’un changement fondamental dans l’approche gouvernementale dans ce secteur qui a traditionnellement été axée sur la mise en valeur des gisements. Aussi, le projet de loi 14 prévoit l’insertion de sept considérants dans ce qui deviendrait le préambule de nouvelle mouture de la Loi sur les mines. Quatre de ceux-ci réfèrent à des préoccupations sociales, deux à l’économie, tandis qu’un seul concerne la protection de l’environnement. Ce sont donc les trois composantes du développement durable qui sont représentées.
 
Par ailleurs, l’objectif de la Loi sur les mines serait modifié. Si les changements proposés sont adoptés, on pourrait lire que : « La présente loi vise à favoriser, dans une perspective de développement durable, la prospection, la recherche, l'exploration et l'exploitation des substances minérales et des réservoirs souterrains, et ce en tenant compte des autres possibilités d'utilisation du territoire ». Cette modification confirmerait encore une fois l’engagement du gouvernement envers le développement durable. 
 
De nouveaux impératifs d’information et de consultation pour l’industrie minière
Le projet de loi 14 propose quelques innovations concernant l’information et la participation du public pour l’exécution de travaux et l’octroi par le gouvernement de certains droits miniers. L’actuelle Loi sur les mines serait modifiée afin de contraindre la personne qui se porte acquéreur d’un claim d’aviser, dans les 60 jours, le ou les propriétaires ou locataires superficiaires touchés. Ensuite, au moins 90 jours avant d’entreprendre des travaux d’exploration, le titulaire d’un claim serait dorénavant contraint d’informer la municipalité concernée. 
 
Aussi, la conclusion d’un bail minier serait conditionnelle à la tenue préalable d’une consultation publique dans la région concernée. Un compte-rendu de cette consultation devrait être soumis au ministre, qui aurait le pouvoir de juger de sa suffisance et d’assortir le bail de conditions visant à prendre en considération les éléments reçus lors de la consultation publique. Enfin, afin d’assurer le respect des engagements pris à l’occasion de la consultation publique, le bénéficiaire du bail minier se verrait dans l’obligation de mettre sur pied un comité de suivi.
 
Ces nouvelles dispositions répondent à de nombreuses critiques sur le manque de transparence de l’industrie minière, qui est tributaire d’importants privilèges légaux. L’information et la consultation accrues des citoyens en matière environnementale peuvent sans doute être perçues comme s’insérant dans la lignée du développement durable. En effet, on considère que la participation et l’engagement des citoyens, qui nécessitent l’accès à une information de qualité, permettent d’arriver à de meilleures décisions en matière environnementale et favorisent un développement durable. 
 
De nouvelles contraintes en matière d’aménagement
Il est proposé d’atténuer la préséance des droits miniers en matière d’aménagement du territoire. À ce sujet, rappelons que dans le régime actuel, l’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme limite substantiellement le droit de regard des municipalités sur l’attribution et l’exercice des droits miniers sur leur territoire. Le projet de loi 14 propose de soustraire les « périmètres d’urbanisation » et les « zones de villégiature » aux activités minières. 
 
Néanmoins, cette règle comporte plusieurs limites. Tout d’abord, les « périmètres d’urbanisation » et les « zones de villégiature » dont il est question excluent notamment les terres agricoles, sans parler d’immenses territoires du Grand Nord, qui font justement l’objet de l’attention de l’industrie minière. Ensuite, le projet de loi offre la possibilité de passer outre cette interdiction. Tout d’abord, les titulaires de droits miniers pourraient conserver leurs titres avec l’accord de la municipalité concernée. Ensuite, il est prévu un mécanisme par lequel les municipalités régionales de comté (MRC) peuvent s’adresser au ministre des Ressources naturelles afin que tout ou une partie du territoire visé par l’interdiction de droits miniers soit de nouveau disponible aux opérations minières. Le ministre devra alors prendre sa décision en tenant en compte des éléments prévus dans la loi, qui ne concernent que des impératifs économiques.
 
Cette nouveauté introduite dans le P.L. 14 constitue certainement une rupture avec l’ancien régime. On pourrait y déceler l’application du principe de subsidiarité qui, selon la l’article 6 g) de la Loi sur le développement durable, signifie que : « les pouvoirs et les responsabilités doivent être délégués au niveau approprié d’autorité. Une répartition adéquate des lieux de décision doit être recherchée, en ayant le souci de les rapprocher le plus possible des citoyens et des communautés concernés .»
 
Or, le P.L. 14 n’introduit pas de délégation de pouvoir. Tout au plus, les municipalités locales se voient attribuer la capacité de négocier pour les droits miniers existants au moment de l’entrée en vigueur de la loi. Par la suite, le projet de loi ne prévoit qu’un mécanisme pour soustraire des territoires à l’interdiction d’opérations minières, mais, dans ce cas, seules les MRC seraient consultées. Par ailleurs, le projet de loi ne prévoit pas la prise en compte d’impératifs sociaux et environnementaux dans la décision du ministre de mettre fin à une telle soustraction. Il s’agit pourtant des principales raisons pour lesquelles un territoire urbain serait soustrait au développement minier.
 
Malgré d’intéressantes innovations et en dépit des apparences, ce nouveau projet de loi ne propose pas de profondes modifications au droit minier actuel. Certes, le développement durable fait son entrée dans la pièce maîtresse du régime minier québécois. Cependant, malgré l’ouverture d’une brèche dans les privilèges de l’industrie minière, bien d’autres, comme le droit d’expropriation et les exceptions à l’application de la Loi sur l’accès à l’information, demeurent intouchés. Et même, tout porte à croire que des efforts soutenus seront déployés lors des consultations publiques et jusqu’au vote de ce projet de loi afin de neutraliser la soustraction de certaines zones au développement minier. Avec de surcroît un projet de loi sur les hydrocarbures en préparation, les prochains mois s’annoncent pour le moins tumultueux dans le secteur du droit minier au Québec.


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Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval, dans l'esprit d'améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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