Pour une vague « verte » au Québec en 2012?

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Par Harvey Mead
Premier Commissaire au développement durable du Québec 2007-2008 et auteur de L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (MultiMondes, 2011)


Mots-clés : Élections provinciales, développement durable, Plan Nord, croissance économique, Plan vert, défi écologique

 

Dennis Meadows, auteur principal de Halte à la croissance!, soulignait récemment [1] que sa confiance dans la possibilité d’un développement durable est ébranlée définitivement depuis quatre ou cinq ans. Le terme « développement durable » signifie pour la plupart du monde, et cela depuis son adoption comme objectif sérieux dans les années 1980, un progrès planétaire où les riches gardent ce qu’ils ont, et les pauvres les rattrapent. Meadows et Mead conviennent quant à l’impossibilité de cela.

Je lis cet été The Resilience Imperative, histoire de chercher des orientations répondant aux énormes défis de l’époque dans un tel contexte [2]. Ce terme « résilience » est devenu clé dans les réflexions, incluant celle de Meadows, en ce sens [3].

Il s’agit de la capacité d’un corps humain, d’une communauté ou d’une nation d’absorber des chocs et passer à travers. Les chocs qui nous concernent incluent la fin d’une énergie bon marché et des perturbations majeures de notre climat, parmi une trop longue liste de crises en cours.

Un regard sur les propositions économiques des différents partis dans la campagne actuelle doit s’alimenter d’un questionnement à cet égard. Ce faisant, par contre, le regard, le présent regard s’éloigne définitivement des enjeux suivis et débattus par les médias et par les citoyens.

 

Positionnement économique

Lorsqu’en 2008 Jean Charest a lancé son Plan Nord aux instances du PLQ, il savait pertinemment que je venais de faire, comme Commissaire au développement durable, une vérification de la capacité du MRNF à gérer les enjeux reliés aux défis du développement minier, et que la conclusion était que le MRNF ne possédait pas les compétences requises.

Finalement, il semble qu’il ciblait une intervention privée, en fin de compte, qui devait augmenter l’activité économique du Québec, et voilà son objectif. Comme dans les cas des terminaux méthaniers, du développement des gaz de schiste et du pétrole de schiste, l’unique préoccupation était la croissance économique.

C’était la justification de l’intervention, peu importe les impacts de ces projets en termes environnementaux et sociaux.

Dans la même tradition économique

Pendant la période 1994-2003, lorsqu’il était au pouvoir, le PQ s’est aussi montré très enclin à de tels gestes, exigeant des milieux environnementaux de nombreuses interventions pour « sauver les meubles ».

Même si de temps en temps une prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux se manifestait – comme pour la décision de mener l’enquête sur la production porcine et le dépôt de la Politique de l’eau – ses leaders économistes donnaient la priorité au « développement économique », trop souvent aux dépens de ses impacts, prévus ou non.

Le positionnement du PQ par rapport aux ressources naturelles dans la campagne actuelle semble poursuivre dans l’effort de concilier ce qui est de nos jours probablement inconciliable.

Il cible mieux que le PLQ, par exemple, les enjeux du développement minier, mais y va avec précaution pour maintenir la compétitivité du secteur. Il ne se positionne pas par rapport au développement potentiel des combustibles fossiles, soit les gaz et le pétrole de schiste (mais avec un moratoire sur les premiers), tout en proposant des baisses majeures de leur consommation au Québec.  Il propose de « développer le Grand Nord ».

Le Plan vert de Québec Solidaire

Québec Solidaire débute bien différemment sa présentation des enjeux et de son positionnement face aux eux.

Son « Plan vert », la plateforme, débute immédiatement en soulignant la nécessité de « transformer l’économie » – et non pas de « protéger » ou de « respecter » l’environnement, les termes maintenus par la CAQ.

Pour QS, le modèle économique actuel a atteint ses limites et le défi écologique ne vient que renforcer le constat. Pour faire le tour d’horizon, QS souligne « qu’il ne s’agit pas de la croissance pour la croissance, mais bien de se servir de l’économie pour bâtir le Québec qu’on veut ».

Même si le PQ cible clairement aussi l’économie sociale, QS souligne mieux son rôle clé dans la nouvelle économie. C’est Québec solidaire qui semble fournir des orientations qui tiennent compte de l’ensemble des enjeux du développement, en cherchant à rendre ceci « durable ». Les emplois prévus semblent bien insérés dans la plateforme – sauf que, mystérieusement, QS pense que les autres emplois de l’économie actuelle vont rester.

Parti Vert : où est l’urgence ?

Le Parti vert souligne l’urgence de la situation,  mais insiste que sa priorité est l’éducation, « au cœur du développement durable », même s’il s’agit d’un développement qui ne reluit plus comme avant.

Ce positionnement enlève tout accent sur une urgence quelconque. Il n’y a pas de critique du modèle économique actuel dans le programme, même si le PVQ croît « en autre chose que la croissance absolue et aveugle ».

Il présente une série de constats qui rentrent dans la longue période de revendications environnementales et sociales badigeonnées de « développement durable », revendications non écoutées qui nous laissent avec les crises actuelles et l’échec.

Le tome fourre-tout de la CAQ

La Coalition avenir Québec, nouveau venu sur la scène, sort un tome qui couvre tout, pour compenser son absence d’histoire. Une approche responsable dans les activités gouvernementales et le souci de nous assurer nos services sociaux figurent en première place dans le document, avant la présentation d’un « vrai plan [économique] pour toutes les régions du Québec ».

Mais déjà dans les deux premières sections, l’approche à la compétitivité et à la productivité figure un peu partout, par exemple, avec l’intention de rendre plus efficace la fonction publique (incluant Hydro-Québec).

L’engagement d’affecter les redevances provenant des ressources naturelles non renouvelables à la réduction de la dette est bien associé à l’appauvrissement de l’héritage que cette exploitation comporte.  Les verser à la réduction de la dette ne fait que souligner, par contre, que de véritables orientations en matière de développement sont « minées » par ce legs du modèle économique actuel.

La section sur l’économie s’applique à l’ensemble des composantes de ce modèle, une à la fois, dans une sorte d’oubli total des problèmes de fond. La CAQ ne reconnaît de crise écologique et de fin de modèle qu’en des termes consacrés justement par le modèle.

 

La croissance économique pour nous enrichir

Voilà donc un portrait qui montre l’échec, non du mouvement environnemental (auquel nous reviendrons), mais celui de l’économie sociale. À part QS, aucun parti ne prône la transition qui s’impose, mais personne ne s’attend à ce que QS ne prenne le pouvoir.

L’objectif clé du PQ, dès le début de sa plateforme, est de nous enrichir – aucun questionnement ne s’y trouve quant à la possibilité que notre niveau de richesse est déjà en dehors de la capacité de la planète à le soutenir. Le PLQ ne ralentit même pas à une telle préoccupation, promettant (après neuf ans au pouvoir) le plein emploi et la croissance pour le permettre.

Les échanges entre les deux se trouvent au niveau de la place du Québec en réponse à la récession de 2008-2009, en termes d’emplois et d’activité économique. La CAQ utilise la création de richesse presque comme leitmotiv dans ses interventions, insistant sur le fait que seule la croissance peut permettre de maintenir notre qualité de vie, voire d’atteindre nos rêves d’avoir plus – et en insistant, dans des termes dépassés, sur la prétention que l’environnement et l’économie ne sont pas en conflit.

La dette est traitée par tous les partis comme un problème à résoudre, mais seul QS la voit inscrite dans le modèle économique actuel.

Le lancement, avant la crise financière, mais après l’effondrement du viaduc de la Concorde, d’une série de programmes quinquennaux pour répondre aux « déficits d’entretien » des infrastructures, est surement pour beaucoup dans la résistance du Québec à la crise, avec des emplois et un PIB à des niveaux surprenants. Même s’ils sont financés en augmentant la dette (30 $G seulement pour 2007-2012) sans que l’argent en cause ne puisse s’appeler de l’investissement, l’ironie n’est pas soulevée.

Le déficit d’entretien est une question de rattrapage, pour les infrastructures routières et les édifices des réseaux de l’éducation et de la santé et souligne une autre faille dans le développement économique des dernières décennies. QS en dénonce les dépenses pour le béton, mais en prétendant à tort qu’il s’agissait d’une intervention face à la crise.

L’ironie est à suivre, dans les engagements touchant le développement des régions, d’une part, et l’environnement, l’énergie et les transports, de l’autre.

 


[1] Voir « Is it Too Late for Sustainable Development? », mars 2012 – http://www.smithsonianmag.com/science-nature/Is-it-Too-Late-for-Sustainable-Development.html#ixzz1u7bc35yk

[2] Michael Lewis et Pat Conaty, The Resilience Imperative : Cooperative Transitions to a Steady-State Economy, New Society, 2012

[3] Voir aussi, par exemple, Thomas Homer-Dixon, The Upside of Down : Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilization, Island Press, 2006.

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