La Loi 106 : un déni de science et de démocratie.

0

2560218_da30c95e

Réaction du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec à l’adoption du projet de Loi sur les hydrocarbures

Le 10 décembre dernier, notre Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec[1] a pris connaissance de l’inadmissible adoption par bâillon de la Loi 106. Nous ajoutons ici notre voix à celles d’un nombre sans cesse grandissant de citoyens et d’organisations de notre société civile qui participent à la réflexion sur la transition énergétique et qui dénoncent depuis des années le recours à une logique extractiviste et le développement désormais anachronique du secteur des hydrocarbures, incompatibles avec nos engagements environnementaux.

Absence de légitimité scientifique

Notre Collectif tient à dénoncer en particulier l’absence de légitimité scientifique de la décision gouvernementale d’adopter une loi comportant une contradiction interne flagrante (entre transition énergétique et développement des hydrocarbures) et de justifier ainsi l’usurpation du bien commun. Nous tenons à rappeler toute l’ampleur et la diversité des travaux scientifiques qui ont montré le caractère inacceptable du développement de l’industrie du gaz de schiste et des hydrocarbures, ici comme ailleurs, tant sur les plans économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux.

Nous invitons le premier ministre et le ministre Arcand, de même que le lobby de l’industrie à parcourir l’abondant gisement de savoir que nous avons colligé dans la section « Veille scientifique » de notre espace web. On y trouve plus de 600 études, rapports et analyses (provenant de sources indépendantes de l’industrie) à cet effet. On trouve aussi dans le site du Collectif, les 39 conférences grand public que nous avons organisées depuis 2011, qui ont permis de déployer et de discuter différents aspects de la problématique, et 106 des très nombreuses contributions de membres du Collectif au débat. Nous tenons à rappeler également les 22 mémoires et prises de position publiques que nous avons déposés et présentés collectivement au cours des 6 dernières années concernant divers aspects du projet de développement des hydrocarbures et l’avenir énergétique du Québec[2]. Toutes ces contributions montrent les effets, les impacts et les implications écologiques, sanitaires, économiques, politiques et autres, du développement des filières gazière et pétrolière; elles mettent en évidence la nécessité de s’engager résolument dans l’alternative énergétique, dont le Québec se doit d’être un leader.

Mépris de la démocratie participative

Par ailleurs, nous dénonçons le mépris de la démocratie participative qui a présidé à l’adoption de la Loi 106. Depuis 2010, des milliers de citoyens se sont investis avec rigueur, compétence et confiance dans les divers processus de consultation mis en place. En promulguant la Loi 106, le gouvernement du Québec (pour lequel une majorité d’électeurs n’ont pas voté) fait preuve non seulement d’un manque de compétences, mais aussi d’une surdité partisane et malsaine à l’égard de l’acceptabilité sociale de ces filières au sein de la population. Une telle instrumentalisation de la consultation publique soulève un très grave problème d’éthique publique qui ne peut pas rester lettre morte sans que s’engage un important procès social.

Sans surprise, l’Association des pétrolières et gazières salue l’adoption de la Loi 106[3]. Son directeur des communications signale que la fracturation hydraulique « est sécuritaire lorsqu’elle est utilisée de manière sécuritaire » et que cette loi « est importante pour favoriser la confiance des communautés dans lesquelles il y a des projets qui commencent à s’implanter ». S’agirait-il de mauvaise foi ou d’un pathétique entêtement à ne pas vouloir savoir ni entendre? Que le pouvoir politico-économique en place évoque la « science »[4], la sécurité, la confiance et la justice, les meilleures pratiques et la loi la plus exigeante au monde… pour célébrer cette « victoire » montre à quel point les stratégies de communication et la langue de bois prévalent encore et toujours sur les fondements scientifiques et éthiques. C’est ainsi que se pervertit le mot « politique ».

Moratoire nécessaire

Il nous apparaît impératif que le gouvernement révise sa Politique énergétique et adopte pour le moins un moratoire (tel que sans cesse demandé depuis 2010) pour geler dès maintenant la mise en œuvre de cette nouvelle Loi, qui annonce des impacts socio-écologiques inadmissibles sur le Québec des prochaines décennies, et risque fort à plus court terme de générer une crise sociale majeure dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur. Nous demandons également que soient entendus les arguments critiques à l’égard du projet de Loi 102, de façon à ce que la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement ne contribue pas, comme annoncé, à la réduction de l’espace de consultation, au déni de justice environnementale et au démantèlement des quelques dispositions qui favorisent le respect de l’élémentaire principe de précaution.

Dans le contexte fort inquiétant d’une sourde et incompétente dynamique politique où commencent à s’articuler entre eux divers éléments de législation et de réglementation, comme autant de verrous complaisants en faveur de filières inacceptables (pensons au règlement laxiste sur les distances qui séparent les forages des sources d’eau potable), notre Collectif scientifique poursuivra sa veille constante. Comme depuis 2011, nous réitérons une fois de plus notre entière disponibilité à accompagner les décideurs dans l’examen et la prise en compte de l’ensemble des connaissances valides sur ces questions. Puisque jusqu’ici, les évidences scientifiques et les préoccupations sociales n’ont pas été entendues à travers les créneaux de consultation et ceux du jeu politique parlementaire, quelles autres stratégies nous faudra-t-il maintenant collectivement déployer pour éviter le dérapage énergétique?

Au nom du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec

Lucie Sauvé, Yves-Marie Abraham, Pierre Batellier, Johanne Béliveau, Hugues Bonenfant, Marc Brullemans, Bonnie Campbell, Marc Durand, Pierre-André Julien, Richard Langelier, Isabelle Miron, Éric Pineau, Marie Saint-Arnaud, Bernard Saulnier, Louise Vandelac, Jean-Philippe Waaub.


[1] http://www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/accueil/. Les travaux du Collectif se sont étendus depuis 2011 à l’ensemble de la question énergétique.

[2] http://www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/fr/accueil/index.php/contribution-au-debat-public

[3] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1005472/association-petroliere-gaziere-quebec-salue-adoption-projet-loi-106

[4] http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201606/17/01-4993139-forages-sur-lile-danticosti-arcand-tente-de-calmer-le-jeu.php

 

 

Le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec regroupe 170 scientifiques de différents champs disciplinaires, rattachés (en poste actuel ou retraités) à une institution d’enseignement supérieur ou à une structure de recherche indépendante de l’industrie gazière et pétrolière. Le Collectif s’est donné pour mission initiale en 2011 d’exercer une vigile critique sur le projet de développement de la filière du gaz de schiste, au regard de l’ensemble de la question énergétique au Québec et de celle des modes de gestion des ressources naturelles. Au fil des dernières années, le Collectif a élargi sa veille critique à la question plus globale des hydrocarbures : ses membres exercent une constante recension d’écrits sur les enjeux liés à l’exploration, à l’exploitation et au transport des hydrocarbures; ils rendent accessible de l’information scientifique à ce sujet, participent aux débats et aux consultations publiques, publient des textes et commentaires, et organisent des cycles de conférences permettant d’examiner les différents aspects de la problématique et de proposer des scénarios énergétiques viables au plan écologique et intergénérationnel.

Partager.

Répondre