Marché du carbone : le Canada a les yeux rivés sur Washington

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Par Me Jean Piette
Avocat spécialisé en Droit de l’environnement


Mots clés : marché climatique, finance carbone, émissions de gaz à effet de serre (GES), Canada, États-Unis, Obama

Seront-ce finalement les États-Unis qui établiront les paramètres des réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le continent nord-américain? Si l’on se fie aux messages envoyés par la nouvelle administration de Barack Obama, il est plausible de croire que le prochain régime qui encadrera le marché de la finance carbone au Canada aura avantage à s’arrimer aux décisions de Washington.


Rappelons qu’il y a présentement au Canada un marché du carbone, le marché climatique de Montréal, qui a été constitué dans le but de servir de marché public pour les transactions de crédits de carbone qui seront effectuées dans le contexte du Cadre réglementaire sur les émissions atmosphériques rendu public par le gouvernement du Canada en avril 2007. 

Ce Cadre réglementaire établissait les objectifs de réduction des émissions de que le gouvernement fédéral avait l’intention d’imposer aux entreprises. Il fut suivi d’un deuxième document intitulé « Prendre le virage :  Cadre réglementaire sur les émissions industrielles de gaz à effet de serre » qui annonçait la publication d’un projet de règlement dans la Partie I de la Gazette du Canada à l’automne 2008. Ce projet de règlement prévoyait être suivi d’un règlement adopté à l’automne 2009 qui, finalement, entrerait en vigueur le 1er janvier 2010.

Or, le projet de règlement annoncé n’a jamais été publié à l’automne 2008 et ne l’a toujours pas été à ce jour, malgré la réélection du gouvernement de Stephen Harper en octobre 2008. En outre, on entend dire de plus en plus que toute l’activité réglementaire fédérale en matière de GES est stoppée depuis l’élection du président américain Barack Obama le 4 novembre 2008.

Pendant ce temps, dans les provinces…


Pendant ce temps, l’Alberta a adopté sa propre législation sur les GES qui reconnaît un marché du carbone interne à l’Alberta. Pour leur part, le Québec et l’Ontario ont, le 2 juin 2008, conclu une entente visant à établir un régime conjoint de plafonds et d’échanges de droits d’émission. Les deux provinces ont  également adhéré à un régime intergouvernemental de réglementation des émissions de GES, le Western Climate Initiative (WCI), qui est un régime régional de plafonds et d’échanges de droits d’émission de GES devant entrer en vigueur en 2012 pour toutes les parties membres, c’est-à-dire les onze États américains et provinces du Canada.

Besoin d’harmonisation des régimes 


Ces différents régimes sont difficilement compatibles, quoiqu’il soit possible d’entrevoir un marché où il se transigerait des crédits de carbone reconnus valables pour les fins de la réglementation des différents régimes susmentionnés. 

Si on recherche les éléments de compatibilité de ces régimes, on constate que le régime de l’Alberta est un régime purement interne à la province, très peu contraignant pour les entreprises pétrolières, pétrochimiques et gazières de la province. Pour leur part, les régimes annoncés par le Québec, l’Ontario et le WCI sont des régimes qui utilisent l’année 1990 comme année de référence et qui prévoient des réductions d’émission de GES en tonnes absolues. Quant au régime fédéral canadien, il utilise 2006 comme année de référence et est fondé sur une diminution de l’intensité des émissions de GES jusqu’en 2020 où il y aurait transition vers des réductions de tonnes absolues.

Déjà, l’harmonisation des systèmes du Québec, de l’Ontario et du WCI avec le régime fédéral canadien pose des défis techniques, économiques et réglementaires considérables.

Trouver un arrimage entre les régimes


Or, l’instauration d’un régime fédéral américain de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES alourdira le problème de la compatibilité de ce régime avec le régime canadien et soulèvera la question de la compétitivité des entreprises canadiennes et américaines les unes avec les autres. Comme il existe de facto une intégration économique importante entre le Canada et les États-Unis et que cette intégration économique de facto est renforcée par l’ALENA, il apparaît évident qu’il faille rechercher un arrimage entre les intentions de réglementation de l’administration américaine et celles du gouvernement du Canada. Considérant le fossé idéologique important qui semble exister entre les deux gouvernements, on peut s’interroger sur la nature de l’harmonisation qu’il sera possible d’envisager. Nul doute que cette question fera l’objet de discussions lors de la première rencontre entre le Président Obama et le Premier Ministre Harper le 19 février à Ottawa.

Il semble d’ores et déjà qu’une démarche conjointe entre le Canada et les États-Unis en matière de réduction des émissions de GES est inévitable. Il nous apparaît aussi qu’une telle démarche aura pour effet de supplanter les régimes provinciaux ou les régimes intergouvernementaux de type WCI. Hélas, cela risque de signifier de nouveaux délais dans la mise en place d’une réglementation canadienne des émissions de GES. Par contre, il faut être conscient que le Président Obama doit agir vite. On peut donc penser qu’il y aura de fortes pressions des Américains pour qu’on en arrive à une entente canado-américaine d’ici la fin de la présente année. 

Influencer le processus américain?


Évidemment, une participation précoce du gouvernement du Canada à la négociation d’une entente canado-américaine sur les GES permettrait au Canada d’influencer le processus américain. Toutefois, si on se réfère aux intentions ambitieuses du Président Obama, il y a fort à parier que c’est celui-ci qui exercera des pressions sur le gouvernement Harper pour accroître la sévérité des objectifs du Canada en matière de réduction des GES.

Un éventuel programme canado-américain de réduction des GES nécessitera la création d’un marché du carbone unifié pour les deux pays ou, au moins, un marché compatible si chaque pays conserve un marché national. On peut penser que le Marché climatique de Chicago, qui est présentement un marché volontaire, deviendra un marché réglementé desservant les États-Unis, comme celui de Montréal serait un marché réglementé desservant le Canada. Espérons que le Marché climatique de Montréal profitera de son alliance avec celui de Chicago pour conserver sa place comme marché du carbone au Canada. La préexistence de ce marché lui permettra sans doute de conserver sa place.


C’est ce qu’il faut souhaiter même s’il est toujours difficile de négocier avec le pays le plus puissant de la planète.




Par Me Jean Piette

Avocat spécialisé en Droit de l’environnement

Jean Piette est spécialisé dans le domaine du droit de l’environnement et dans celui de l’élaboration des politiques en matière d’environnement. Il a été le premier avocat québécois à exercer une pratique entièrement consacrée au droit de l’environnement depuis 1972. Associé principal et responsable de l’équipe de droit de l’environnement au cabinet d’avocats Ogilvy Renault, il s’est vu attribuer le classement le plus élevé dans le répertoire juridique Martindale-Hubbel, soit la cote AV, pour son respect des normes d’éthique et pour ses qualités professionnelles. Il a été désigné parmi les meilleurs avocats en droit de l’environnement au Canada dans l’annuaire Lexpert/American Lawyer Media et parmi les meilleurs au monde selon le Guide to the World’s Leading Environment Lawyers et le Who’s Who Legal Environment. 

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