Face au réchauffement climatique : L’urgence d’une politique de développement soutenable des transports publics au Québec

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Par Sylvie Woods
Présidente de l’Association d’Hochelaga-Maisonneuve
Parti vert du Québec


 

À la suite du rapport Johnson et dans l’éventualité d’élections provinciales probables, le gouvernement Charest lance, tous azimuts, de grands chantiers de réfection et de reconstruction de ponts et de viaducs. Mais surtout, il met de l’avant de nouveaux chantiers de développements autoroutiers évalués à eux seuls à 2 milliards de dollars. Il s’agit de l’élargissement de la 175, de la conversion du boulevard Notre-Dame en autoroute urbaine, du prolongement de l’A-25 et de la construction d’un pont entre Laval et Montréal. Certes, on veut nous faire croire que la proposition de ces grands chantiers résulte uniquement de la réponse gouvernementale au rapport Johnson suite à la commission tenue sur l’effondrement du viaduc de la Concorde qui a coûté la vie de 5 personnes et en a blessé 10 autres. Par ailleurs, il est vrai que le rapport Johnson établit que les infrastructures ont été négligées pendant plus de 30 ans et qu’il y a urgence en la demeure de restaurer les viaducs et les ponts laissés pour compte et devenus dangereux pour les automobilistes.
 
Prévisible, le rapport Johnson recommande d’investir 500 millions par année au minimum pour réparer tout le réseau autoroutier déficient. L’occasion ne pouvait pas être plus opportune pour le  gouvernement Charest de procéder à l’expansion des réseaux autoroutiers existants et pour améliorer l’offre de transport automobile aux Québécois. Le portrait de la situation présenté dans le rapport Johnson ne nous informe en rien sur le pourquoi de la négligence gouvernementale quant à l’entretien des routes au Québec. En fait, le surdéveloppement autoroutier qui a débuté dans les années soixante, pour se poursuivre à vive allure jusqu’à aujourd’hui, s’est réalisé au détriment du capital naturel du Québec, des écosystèmes. À cet égard, Richard Bergeron rappelle dans son analyse L’économie de l’automobile au Québec, que « Pour l’essentiel, l’Alberta paie ses automobiles avec ses excédents pétroliers et agricoles, l’Ontario ses carburants avec ses excédents dans l’automobile et les services, le Québec ses automobiles et ses carburants avec les excédents dégagés de ses forêts, mines et ateliers de confection » (p.43)
 
À la suite des recommandations du rapport Johnson, le gouvernement Charest infléchit donc son action pour lancer une campagne pré-électorale auprès d’une partie de la population qui lui a tourné le dos aux dernières élections, soit ces électeurs que l’on appelle maintenant le «450» pour nommer les résidants des banlieues situés dans les trois couronnes. Cette campagne consiste en un vaste chantier de développement de transport privé non soutenable écologiquement et qui profitera principalement aux banlieusards, d’une part. Et qui d’autre part, justifiera le gouvernement Charest, ou celui qui lui succédera, de ne pas s’engager concrètement pour agir contre le réchauffement climatique lors de la conférence de Bali qui se tiendra en décembre 2007. Cette rencontre des parties engagées en faveur du Protocole de Kyoto doit alors définir les objectifs de la deuxième étape du protocole de Kyoto, après son échéance de 2012. Ces chantiers, qui ont pour but de restaurer et de développer de nouvelles infrastructures autoroutières, coûteront 11 milliards de dollars aux Québécois. Cet endettement se fera sur une période de 4 ans, nous annonce fièrement notre ministre du Conseil du Trésor, madame Monique Jérome-Forget. Des dépenses généreuses qui viennent s’ajouter à une dette nationale d’environ 120 milliards, qui sera léguée tout aussi généreusement à la future génération, tout en contribuant à la hausse du niveau de gaz à effet de serre, celui-ci se rapprochant de plus en plus près du seuil d’irréversibilité du réchauffement climatique prévu par les scientifiques.
 
À l’heure où les scientifiques entrevoient une 6 e extinction des espèces, à laquelle nous avons contribué largement par les répercussions dues au réchauffement climatique et à la destruction des écosystèmes et de la biodiversité, certains pays européens ont commencé à remplacer leurs autoroutes par des modes de transports moins polluants en investissant dans le transport public. Le gouvernement Charest s’apprête, quant à lui, à reconstruire et développer de nouvelles infrastructures routières qui se sont avérées si onéreuses par le passé que les gouvernements provinciaux qui se sont succédé ainsi que ses municipalités ont été réfractaires à les entretenir. Ajoutons que les gouvernements n’ont pas voulu faire assumer aux utilisateurs des réseaux routiers, les automobilistes et également leurs électeurs, le coût réel de la dépendance à l’automobile. Conséquemment, pour les prochaines années, le gouvernement Charest a donc prévu dépenser cinq fois moins dans les transports publics, en lui consacrant 2 milliards seulement sur 5 ans, que dans le transport automobile auquel il attribue 11 milliards sur quatre ans.


 
Mise au rebut d’une politique de transport public

Québec Kyoto, la coalition qui veille au respect du protocole de Kyoto, prédisait récemment avec une grande lucidité la phase terminale du protocole pour le Québec étant donné l’implantation de deux ports méthaniers dans le Bas Saint-Laurent.  S’y ajoute maintenant la mise au rebut d’une politique de transport public soutenable pour tout le Québec. Les citoyens sont à même de constater que ces chantiers autoroutiers faramineux ne laisseront aucune marge de manœuvre au gouvernement libéral et à ses successeurs pour investir dans des infrastructures de tramway, de trolleybus, d’autobus et de tram-trains à Montréal et dans les autres grandes villes du Québec. Étrangement, cet empressement du gouvernement Charest qui daigne s’accaparer la somme de 11 milliards pour le consacrer au transport automobile coïncide avec les travaux de la Commission sur le transport de la Ville de Montréal. Dans le cadre de cette commission municipale, plusieurs organismes et divers experts en transport ont soumis des mémoires à la Ville de Montréal pour exposer leurs recommandations en vue de développer une politique de transport durable pour le grand Montréal. Parmi ces recommandations, entres autres, celles de Projet Montréal, du Groupe de recherche appliquée en macroécologie de l’Université du Québec à Montréal, de la Table d’aménagement du quartier Hochelaga-Maisonneuve, on retrouve l’implantation d’un tramway électrique sur l’axe est-ouest du boulevard Notre-Dame ainsi que sur l’axe entre Lachine et le centre-ville, en remplacement de l’autoroute de l’échangeur Turcot. Ces groupes, parmi une centaine d’autres, ont répondu à l’appel pour définir un mode de transport durable pour Montréal en soumettant diverses propositions toutes aussi intéressantes et innovatrices les unes que les autres. Balayant du revers de la main cette expertise, le gouvernement Charest, avec l’annonce de ses chantiers autoroutiers, confirme que tout ce processus de consultation n’était que démarches futiles, puisque c’est vers la croissance du réseau autoroutier que le gouvernement libéral engage l’économie du Québec pour les prochaines décennies, et entraînera avec lui, par la force des choses, toutes les municipalités du Québec.

 
Des chantiers d’infrastructures routières non soutenables

L’efficience du transport public, lorsque soutenu adéquatement par les gouvernants, n’est plus à démontrer comparativement à l’inefficacité énergétique de l’automobile dans les villes et les banlieues. Les intervenants qui ont présenté leur mémoire à la Commission sur le transport de la Ville de Montréal énumèrent quelques indicateurs écologiques à prendre en compte, eu égard au développement routier. Parmi ceux-ci mentionnons l’urbanisation des terres agricoles québécoises, l’utilisation inefficace de l’énergie et des matières premières, la création de nuisances environnementales, des problèmes d’injustice fiscale, les impacts macroéconomiques engendrant un déficit commercial important pour le Québec. D’ailleurs, il est démontré, chiffres à l’appui, qu’une meilleure offre de transport public aux Québécois serait plus efficiente à tous les niveaux : économique, social et environnemental. Et que les tramways, les trolleybus, le tram-train, le métro et l’autobus généreraient davantage d’emplois pour les Québécois que l’achat et l’usage d’une automobile. De surcroît, la dépendance à l’automobile et les infrastructures routières sous-jacentes contribuent  annuellement à notre déficit commercial.
 
Afin d’inciter les Québécois à remédier à l’usage exclusif de l’automobile, plusieurs intervenants recommandent d’internaliser, sans attendre, les coûts sociaux et environnementaux reliés au transport routier par diverses mesures économiques. Par exemple, en  comptabilisant  les distances parcourues dans une année par l’usager lors de la perception des frais d’immatriculation, une taxe sur l’essence plus substantielle, etc.  Les sommes ainsi récupérées par le gouvernement pourraient alors être investies dans le développement accru et systématique du transport public dans les prochaines années. L’internalisation des coûts permettrait alors d’offrir une alternative aux résidants des banlieues tout autant qu’aux résidants des villes, en investissant massivement dans d’autres modes de transports plus écologiques et plus appropriés au réchauffement climatique.
 
Le surdéveloppement autoroutier et l’usage exclusif de l’automobile font en sorte que ces externalités se sont multipliées au cours des 30 dernières années et sont maintenant généralisées au Québec. Plusieurs écosystèmes sont affectés  dont l’eau : nos lacs avec leurs cyanobactéries sont  contaminés par la pollution atmosphérique et les gaz à effet de serre. L’air, puisqu’en 2005, le sud du Québec a connu une augmentation des concentrations de smog de 15 % (Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 2007/10/16). Les sols, affectés par l’étalement urbain générant une artificialisation des terres agricoles par le dézonage et les développements résidentiels. Comment peut-on accepter de remplacer des biens communs vitaux et irremplaçables tels que l’eau et l’air, les terres agricoles et la biodiversité par du développement autoroutier? Si les Québécois n’ont pas voulu payer les frais des ponts et viaducs en élisant des gouvernements qui les en exemptaient,  indéniablement ce sont  les écosystèmes qui ont payé la note de ce développement autoroutier parasitaire depuis 30 ans.


Le développement autoroutier : des mesures de contre-adaptation au réchauffement climatique

Il est clair que le gouvernement actuel se refuse à mettre en place des mesures d’adaptation sociales, environnementales et économiques pour faire face à la réalité du réchauffement climatique au Québec. Il n’en demeure pas moins que les experts en la matière nous informent que la Terre est un système complexe non linéaire. Ce qui signifie que lorsque ce système atteint un certain seuil, par exemple entre  450 PPM (partie par million) et 500 PPM de CO 2  au niveau planétaire, ce système franchit un seuil d’irréversibilité et s’ensuit un phénomène d’emballement entraînant avec lui des répercussions irréversibles et imprévisibles. Le réchauffement climatique est soumis alors à un phénomène de rétroaction positive qui accentue le réchauffement et l’amplifie toujours davantage. Il va de soi que ces bouleversements climatiques ne s’annonceront pas de façon progressive, comme plusieurs le souhaitent, ils nous réservent plutôt des «surprises» selon les experts du Groupe Intergouvernemental sur le réchauffement climatique. Est-il nécessaire de dire que chaque jour compte, puisque nous avons atteint mondialement 385 PPM de CO2 à l’heure actuelle, et que chaque année, les sociétés industrielles ajoutent environ 2.8 PPM de CO2 dans l’atmosphère. A ce rythme, plusieurs scientifiques prédisent que d’ici dix ans la Terre approchera le seuil d’irréversibilité.

 

Le surdéveloppement du réseau autoroutier et le sous-développement du transport public

Selon les principes de l’économie écologique, l’échelle optimale constitue l’indice économique et écologique de la limite biophysique de notre macroéconomie, en considérant la population du Québec multiplié par la consommation de ressources naturelles par personne. Bien entendu cette échelle optimale du développement n’est jamais considérée dans une économie basée sur la croissance. Dans l’ordre des choses actuelles, la population canadienne a augmenté de 17 % depuis 1990. La croissance économique et démographique ont donc contribué à la hausse des gaz à effet de serre qui ont augmenté de 25 % pendant la même période au Canada. Au Québec, le transport routier était responsable en 2003, de 37,4 % des gaz à effet de serre, selon les données citées dans Le mythe du Québec vert de François Cardinal. Comme le démontre monsieur Cardinal, les Québécois en général sont peu enclins à prendre en compte les  répercussions environnementales de la croissance économique avec ses développements routiers, qui surpassent déjà les limites biophysiques de notre territoire ainsi que la capacité de ses écosystèmes à se régénérer. Le rapport Johnson propose de réparer de nombreuses infrastructures routières. Le gouvernement Charest  profite de l’occasion pour lancer un vaste chantier autoroutier alors que la réalité du réchauffement climatique nous oblige à prendre une toute autre avenue en investissant massivement dans les infrastructures du transport public au Québec. Sans doute, monsieur Charest espère-t-il, à l’instar de ceux qu’il veut satisfaire en développant l’offre de transport automobile, que lorsque la tempête soufflera sur le Québec dans sa démesure, il pourra toujours  «aller coucher dans son dans son char»?

 

 

 



 

Par Sylvie Woods
Présidente de l’Association d’Hochelaga-Maisonneuve
Parti vert du Québec


Écologiste, elle espère participer à une “vélorévolution”. Elle s’intéresse aux problématiques économiques et énergétiques dans une perspective écologique et démocratique, qui sont indissociables selon elle. Elle a assisté à la naissance de Projet Montréal et a participé à son émergence comme membre fondatrice. Le développement du transport public constitue une préoccupation cruciale pour elle.
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